Héritier d’une dynastie présidentielle, Ali Bongo était au cœur de ce qu’on a longtemps appelé la “Françafrique”, avant d’être renversé par le chef de sa garde prétorienne.
Où s’arrêtera la vague de coups d’États qui semble traverser l’espace africain francophone par capillarité ? Un mois après le putsch intervenu au Niger, c’est au tour du président du Gabon d’être renversé. Aux petites heures, mercredi, une douzaine de militaires sont apparus à la télévision publique de l’État d’Afrique centrale, pour annoncer la fin du règne d’Ali Bongo, qui s’apprêtait à rempiler pour cinq ans.
Ils ont assigné le président à résidence, mis aux arrêts des dignitaires de son régime, décrété la dissolution de toutes les institutions du pays et la fermeture des frontières. “La situation est trop fluide à ce stade pour savoir si la tentative de coup d’État réussira”, soulignait mercredi Nicolas Fierens, porte-parole des Affaires étrangères, alors que la Belgique ne l’avait pas formellement condamné. S’il réussit, ce nouveau putsch serait le huitième en Afrique de l’Ouest et centrale depuis 2020.
Les militaires ont notamment justifié leur prise de pouvoir en dénonçant une organisation électorale qui n’avait “pas rempli les conditions” d’un scrutin transparent. Peu avant leur coup de force, les autorités avaient annoncé la réélection d’Ali Bongo, qui était en place depuis 2009 après avoir poursuivi le règne de 41 ans de son père. Son premier opposant, Albert Ondo Ossa, soutenu par une coalition de six partis, avait clamé sa victoire et accusé le régime de fraude, avant la parution des résultats officiels du scrutin.
“Chaque coup répond d’abord à un agenda local.”
Une “épidémie” de putschs
Ce nouveau coup de force poursuit une “épidémie” de putschs en Afrique francophone, pour reprendre le terme utilisé en début de semaine par Emmanuel Macron. Qui ont comme premier point commun le fait d’intervenir dans d’anciennes colonies françaises.
Comme au Mali, c’est le chef de la garde présidentielle, le général Brice Oligui Nguema, qui apparaît comme leader du coup gabonais. “Mais chaque coup répond d’abord à un agenda local”, souligne El Hadj Souleymane Gassama, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
Au Gabon, c’est en effet un autocrate diminué par un accident vasculaire cérébral et dont la famille détient le pouvoir depuis plus d’un demi-siècle qui est renversé, pas un président récemment élu. Le pays n’est ni menacé par des rébellions djihadistes, ni dépendant d’appuis militaire étranger.
“Le Gabon est un pays central pour comprendre la symbolique de la Françafrique : la dynastie au pouvoir, l’opacité, l’enrichissement du clan, les biens mal acquis…”
Et alors que les derniers coups en Afrique de l’Ouest ont été caractérisés par l’utilisation, par les putschistes, d’un sentiment anti-français, rien de tel n’avait encore été rapporté à Libreville. “Le coup au Gabon est très embryonnaire: vont-ils entonner ce refrain-là ? On ne le sait pas encore”, poursuit Souleymane Gassama, qui a récemment publié un essai sur le malaise postcolonial (“Les bons ressentiments”, Riveneuve, 2023).
Un maillon de l’influence française
Le pays n’est pas n’importe quel pays sur la carte des anciennes colonies de la France, poursuit l’auteur: “Le Gabon est un pays central pour comprendre la symbolique de la Françafrique: la dynastie au pouvoir, l’opacité, l’enrichissement du clan, les biens mal acquis…”, poursuit Souleymane Gassama.
Le pays entretient des liens économiques étroits avec l’ancienne puissance coloniale. Il est le deuxième producteur mondial de manganèse (Mn, utilisé dans l’industrie et l’agriculture), et c’est le groupe français Eramet, via sa filiale Comilog, qui est responsable de 90% de cette extraction. Le pays est en outre le quatrième producteur de pétrole d’Afrique sub-saharienne, avec 200.000 barils par jour (0,2% de l’offre mondiale), et membre de l’Opep, notamment au travers des exploitations de TotalEnergies.
Le résumé
- Une junte militaire a proclamé la fin du régime des Bongo, après plus d’un demi-siècle de règne sur le Gabon.
- Alors que la réussite du coup restait à confirmer, l’événement apparaît comme un nouveau cas dans “l’épidémie” de putschs qui touche l’Afrique francophone.
- Le cas gabonais n’en est pas moins singulier – “chaque coup répond d’abord à un agenda local”, souligne El Hadj Souleymane Gassama (Iris).