Michel Sardou le 12 décembre 2012 à Paris ©BelgaImage
C’était le buzz du week-end. Lors d’une interview accordée à Tipik, Juliette Armanet a été invitée à désigner des chansons qui lui feraient quitter une soirée. Sa réponse: “Trois fois les Lacs du Connemara“. “C’est vraiment une chanson qui me dégoûte profondément. Le côté scout, très sectaire, la musique est immonde. C’est de droite, rien ne va“, explique-t-elle. Son avis aurait pu rester anecdotique, mais ce ne fût pas du tout le cas. En France, le chanteur, qui revendique depuis des décennies son appartenance à la droite, a été défendu bec et ongles par sa famille politique, autant du côté médiatique que des autorités officielles. Mais au fait, comment est née cette chanson, et que racontent les paroles de ce titre devenu emblématique des fins de soirées?
Un titre qui devait parler… de l’Écosse!
Au début des années 1980, alors que sa popularité n’est déjà plus à faire, Michel Sardou d’amuse d’un son d’un synthétiseur exposé trop longtemps sous un soleil de plomb, comme l’a expliqué le chanteur au Monde. Celui-ci faisait des bruits plus proches de la cornemuse qu’autre chose, ce qui lui a donné envie de faire une chanson non pas sur l’Irlande mais… sur l’Écosse. “Mon compositeur a cherché un dépliant sur l’Ecosse pour trouver des noms de lieux et de personnages“, enchaîne l’artiste.
Finalement, ils ont abandonné l’idée, vu qu’il n’y avait rien sur l’Écosse dans la bibliothèque. Par contre, ils ont trouvé un livre sur l’Irlande. “Connemara, Connemara, ça sonnait bien, mais moi je n’y connaissais rien, je n’y étais jamais allé“, avoue-t-il. Cela ne l’a pas empêché de poursuivre dans cette direction et le tube est né.
Le fantasme d’une Irlande catho et arriérée
Puisqu’il a décidé de parler d’un pays qu’il ne connaît pas, sans surprise, les clichés sur l’Irlande s’enchaînent. Si le début semble décrire en effet le Connemara, une région réputée pour sa météo capricieuse et peu ensoleillée, la suite des paroles s’en écarte largement.
Le deuxième couplet s’attarde ainsi sur la ferveur des catholiques de toute l’île, “de Tipperary, Barry-Connelly (qui se trouve d’ailleurs en Irlande du Nord, ndlr) et de Galway“. L’église de Limerick, qui ne se trouve pas au Connemara, est citée. Puis arrive la réputation des Irlandais pour leur amour de la Guiness, avec “de quoi boire trois jours et deux nuits“. À noter toutefois pour la petite histoire que l’Irlande consomme bien moins de bière que l’Europe centrale, Tchéquie en tête.
Plus tard, Michel Sardou dépeint une image quelque peu arriérée des habitants, qui vivraient “encore au temps des Gaëls et de Cromwell” et qui croiraient “encore aux monstres des lacs“. “L’on y croit encore que le jour viendra, il est tout près, où les Irlandais feront la paix autour de la Croix“, enchaîne-t-il, à nouveau en référence à la piété locale. Enfin, pour terminer, le chanteur rappelle le conflit entre l’Irlande catholique et l’Angleterre protestante, la première n’acceptant “pas la paix des Gallois ni celle des rois d’Angleterre“.
Un tube qui ne devait pas en devenir un
Au vu de ces paroles, force est de constater que la chanson reste très axée sur la religion, ce qui est plutôt connoté à droite. Notons toutefois que l’artiste ne prend pas position pour les catholiques ou les anglicans. Alors “Les Lacs du Connemara”, de droite ou pas? Sollicité par les médias français, l’artiste n’a pas voulu répondre. En tout cas, il semble plutôt dans l’optique de faire un titre folklorique, censé représenter une Irlande dont il ignore pour ainsi dire presque tout.
Michel Sardou ne s’en cache pas: à l’origine, il avait peu d’estime pour cette chanson de plus de six minutes. “Personne ne passera jamais une chanson (si longue) sur un mariage irlandais!“, a-t-il pensé, comme il l’a raconté à France 3. “Je n’y croyais pas du tout, moi! Je pensais qu’on allait se prendre un bide complet“. Finalement, cette musique aux airs de chant estudiantin et au rythme ascendant a fini par trouver son public.
Quand la droite défend son chouchou
Au fil des années, l’artiste a affirmé à plusieurs reprises ses idées de droite et progressivement, son image a fini par être étroitement associée à cette partie de l’échiquier politique. Cela explique sûrement la réaction épidermique de ce week-end. Car non seulement l’affaire a créé des remous sur les réseaux sociaux mais elle a également fait réagir les médias traditionnellement hostiles à la gauche, comme Sud Radio qui affirme que Juliette Armanet bénéficie de 154.000€ d’aides publiques (comme pour remettre cela en cause).
Éric Ciotti, président du parti de droite Les Républicains, s’en est également pris à la chanteuse dans un message sur X (ex-Twitter). “Michel Sardou, c’est la France tout simplement. L’idole de nombreuses générations, un chanteur au caractère bien trempé et qui s’assume. Difficile à avaler pour la bien pensance!“, écrit-il. En parallèle, Gilbert Collard, un ancien membre du Front national devenu partisan d’Éric Zemmour, a lui aussi pris la défense de Michel Sardou.
Au final, si la question de la couleur politique intrinsèque des “Lacs du Connemara” peut faire débat, le conflit que suscite la chanson aujourd’hui montre que dans l’esprit du public, celle-ci est désormais associée à l’idéologie de son concepteur. Pour sa part, Romain Kuntz, l’animateur de Tipik qui a interviewé Juliette Armanet, ne veut pas prendre parti dans ce débat. Par contre, “ce qui est sûr, c’est que j’ai rarement vu autant d’insultes, sexistes quand elles sont pour Armanet, pour une toute petite phrase sur une chanson que quelqu’un dit ne pas aimer. C’est terrifiant”, conclut-il sur X.